Le réchauffement du climat depuis 30 000 ans a fortement réduit l’occupation glaciaire. Soumis aux conditions atmosphériques (températures et précipitations variées), le relief subit de nombreuses transformations superficielles initiées notamment par la gravité, le froid et l’eau.


Figure 5.1: Le paysage actuel du vallon de la Rollaz et quelques formes qui s’y sont développées pendant et après le retrait glaciaire. La différence des formes entre la rive gauche et la rive droite s’explique par la géologie : les schistes, facilement érodés et mobilisés par l’eau sont déposés dans des cônes de déjections alors que les gneiss du Mont-Tondu sont surtout érodés par le gel et produisent des sédiments plus grossiers qui se déposent en éboulis (modèle 3D tiré de Google Earth ; déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).


Des espaces libérés de l’emprise glaciaire

Mis à part le glacier de Tré-la-Tête qui demeure un des plus importants glaciers français, les grands glaciers ont disparu du haut Val-Montjoie depuis 11 000 ans (voir avant dans certains secteurs) et le paysage a subi de nombreuses transformations. Elles correspondent à un remodelage superficiel du relief, les grandes formes du paysage (vallées/sommets, secteurs plats/pentus) étant héritées principalement de la structure géologique et de l’érosion lors de la dernière occupation glaciaire (voir les chapitres 2 et 3). Pendant cette période de transition, le paysage est libéré de la pression glaciaire (poids du glacier) et soumis aux conditions atmosphériques (variations des températures et des précipitations). Son évolution dépend alors principalement de la gravité, du froid et de l’eau (figure 5.1).

Ces transformations s’effectuent principalement dans les premiers millénaires après le retrait glaciaire car :

  • l’énergie du relief est maximale et diminue avec le temps : les glaciers étant les plus puissants agents d’érosion, ils incisent profondément le relief, à la manière de bulldozers qui s’insèrent progressivement dans le paysage (figure 3.6). Les pentes générées par cette érosion sont extrêmement importantes, ce qui confère une très grande énergie au relief. Or, une fois que les glaciers ont fondu, ces pentes sont trop raides pour subsister, d’autant plus que la pression glaciaire qui les a créés et maintenues en équilibre n’est plus là pour les soutenir. Ces pentes vont peu à peu être rééquilibrées par différents processus (voir ci-dessous) : du matériel est érodé en amont où la pente est trop forte et est déposé à l’aval, où la pente est plus faible, transformant le profil transversal de la vallée du U (auge glaciaire) au V (typique de l’érosion non glaciaire). La pente générale et l’énergie du relief diminuent donc avec ce rééquilibrage.
  • les moraines sont rapidement remaniées : le chapitre 4 ("Le retrait glaciaire") a montré comment un glacier produit, transporte et dépose d’importants stocks de sédiments : les moraines. Après le retrait glaciaire, le paysage est fortement recouvert de moraines. Elles sont déposées sous forme de crêtes lorsque le glacier a connu une phase d’équilibre ou d’avancée et/ou sous forme de dépôts disparates (on parle d’un plaquage morainique), en raison notamment de l’abandon progressif des sédiments lors de la fonte du glacier. Après le retrait glaciaire, ces moraines constituent un amas de sédiments non consolidé et instable qui va rapidement être remobilisé par différents processus (gravité, écoulement de l’eau, etc) et être redistribué dans le paysage, créant des nouvelles formes d’érosion et de dépôt sédimentaire (figure 5.2).
  • l’absence de végétation intensifie les processus d’érosion et de transfert des sédiments : le retrait glaciaire fait apparaître un paysage minéral composé de secteurs rocheux (roche en place érodée par les glaciers) et de dépôts sédimentaires (moraines). Le développement du sol (couche supérieure de la Terre composée de matière minérale et organique) puis de la végétation vont peu à peu stabiliser le paysage, limitant l’activité des processus qui le modèlent (figure 5.2).

Figure 5.2: Pentes récemment désenglacées dans la partie aval du vallon de Tré-la-Tête (le glacier y est recouvert de moraine qu’il n’arrive plus à évacuer. En quelques dizaines d’années, les moraines sont remobilisées par différents processus et peu à peu stabilisées (déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).


Le rôle de la gravité

La gravité (la force d’attraction terrestre) est une constante physique active dans toutes les dynamiques qui modifient le paysage (comme l’écoulement d’un glacier ou d’un cours d’eau le long d’une pente). Cependant, certaines formes du paysage sont uniquement liées à son existence et le transfert des sédiments n’est pas effectué par un agent tiers (l’eau, la glace, le vent, etc.) mais répond à l’appel du vide. Ce vide génère un déséquilibre qui active des chutes ou des déformations gravitaires. Les formes gravitaires sont divisées en deux familles :

  1. les formes liées à des mouvements individuels : elles correspondent le plus souvent aux formes accumulées par la chute d’éléments érodés sur les parois rocheuses. La chute se déclenche lors de la rupture de l’équilibre (la fracturation du rocher produit un sédiment qui tombe) dont les causes peuvent être multiples (alternance gel/dégel, écoulement d’eau, etc.). En fonction de l’événement, les dépôts générés aux pieds des parois rocheuses prennent deux formes (figure 5.3) :
    • les éboulis : l’érosion lente et progressive d’une paroi rocheuse produit un nombre important de sédiments. Ces sédiments s’accumulent peu à peu en pied de parois jusqu’à former une pente régulière qui correspond au profil d’équilibre (en général, pas plus de 35° pour un éboulis). Le principe est le même que la pyramide produite par l’accumulation du sable libéré progressivement par une main qui ne bouge pas. Par ailleurs, l’énergie cinétique des sédiments augmente avec leur taille. Ainsi, plus un bloc est gros, plus son énergie cinétique est importante et plus il peut parcourir de distance. Dans ce prolongement, les éboulis sont granoclassés : la taille des éléments grandit vers l’aval. Les éboulis constituent une forme très courante dans les paysages de montagnes et on retrouve ces pentes régulières de sédiments aux pieds des parois rocheuses comme l’Aiguille de la Pennaz ou la Crête des Fours.
    • les dépôts d’éboulement : à l’inverse des éboulis, les dépôts d’éboulements sont irréguliers et non granoclassés. Ils résultent en effet d’un événement brusque où une partie de la paroi s’est détachée. Dans la chute, les sédiments s’entrechoquent comme dans une avalanche. Les dépôts produits sont chaotiques, très étalés et souvent composés de très gros blocs. De modestes dépôts d’éboulements sont visibles dans la réserve (secteur de la Balme - Roches Franches notamment) mais l’événement le plus notable concerne l’éboulement survenu dans le secteur du col de l’Enclave. Une gigantesque masse rocheuse s’y est détachée il y a moins de 10 000 ans et s’est déposée à l’aval, recouvrant en partie le lac Jovet inférieur et formant le lac Jovet supérieur par effet de barrage.

  2. Figure 5.3: Eboulis et dépôt d’éboulement dans le vallon des Jovet. Les éboulis, produits de la lente érosion des parois amont, recouvrent presque l’intégralité des pentes : les zones où les chutes de blocs sont peu fréquentes sont végétalisées et de probables glaciers rocheux fossiles occupent le centre de la pente. Entre les lacs Jovet, le dépôt chaotique de gros blocs résultent d’un probable éboulement de la parois située à proximité du col de l’Enclave (déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).

  3. les formes liées à des mouvements de masse : elles résultent de la déformation et/ou du glissement, relativement lent, de tous les éléments d’un secteur instable. Elles sont liées notamment au rééquilibrage des pentes trop raides et/ou à la rétention d’eau. On distingue essentiellement les glissements de terrain superficiels (secteur des Prés, col des Jovets, côte d’Auran, etc.) des tassements profonds (versant gauche de la Rollaz, figure 5.1).

Le rôle du froid

(Ce paragraphe n’évoque pas les glaciers, décrits dans les chapitres précédents, mais les secteurs rocheux et sédimentaires non recouverts de glace et soumis à des conditions atmosphériques froides) En raison de sa fréquence et de son intensité, le froid joue un rôle important dans l’évolution des paysages de montagne. Son influence réside principalement dans la présence d’eau sous forme solide :

  • la neige : les conséquences de la couverture neigeuse sur le relief sont ambivalentes. D’un côté, la couverture neigeuse présente durant une partie de l’année isole le sol des conditions atmosphériques et limite l’évolution du paysage (un peu comme s’il hibernait sous la neige). De l’autre côté, les grandes avalanches qui se développent sur les versants (notamment au printemps lorsque le manteau neigeux humidifié racle le sol) érodent, transfèrent et déposent du matériel sédimentaire (plus du sol et de la végétation) à l’aval.
  • la glace : en raison des conditions de températures et de la présence d’eau variables, la glace peut être présente de manière temporaire ou permanente dans le sol. Le gel temporaire et plus particulièrement les alternances gel/dégel génèrent une érosion intense des parois rocheuses lorsque de l’eau est présente dans les fissures. En effet, le volume de l’eau augmente de 9% lorsqu’elle gèle. Ainsi, la pression augmente dans les fissures, ce qui peut casser la roche et produire un sédiment. Ce processus de fracturation est particulièrement efficace dans les roches présentant de nombreuses fissures. C’est notamment le cas des schistes que l’on retrouve aux Thovassets. Dans les secteurs les plus froids de la réserve (globalement au-dessus de 2450m), de la glace peut être conservée dans le sol durant toute l’année : on parle alors de pergélisol ou de permafrost. L’eau forme ainsi un ciment de glace, en s’insérant dans les fissures de la roche ou entre les sédiments puis en gelant en profondeur où les conditions sont propices à son maintien. Dans les accumulations de sédiments comme les éboulis et les moraines, cette présence de glace permanente dans le sol peut générer des formes particulières : les glaciers rocheux. Le ciment de glace donne une cohésion à l’ensemble des sédiments, qui fluent vers l’aval en raison de la gravité, formant des bourrelets et des crêtes. Aujourd’hui, on retrouve un glacier rocheux sous le col des Tufs (figure 5.4) ou au-dessus du col Jovet. Lorsque le climat était plus froid et donc davantage favorable au maintien de la glace dans le sol à basse altitude, de nombreux glaciers rocheux se sont développés dans le haut Val-Montjoie, notamment dans toutes les pentes cernant l’Aiguille de Roselette et de la Cicle. Aujourd’hui, la glace a disparu mais les bourrelets et les crêtes générées par la déformation ont subsisté.

Figure 5.4: Glacier rocheux localisé sous le col des Tufs. L’eau qui pénètre dans les sédiments gèle en profondeur et entraîne le fluage généralisé vers l’aval (© NRG).


Le rôle de l’eau

L’eau a une influence fondamentale sur l’évolution du relief. En effet, avec les glaciers, l’écoulement de l’eau en surface (principalement) et en profondeur (secondairement) est le principal agent de modification du relief. Pouvant provenir de la pluie, de la fonte de la neige/glace ou de l’émergence de nappes d’eau souterraines, elle contribue fortement à l’érosion, au transfert et au dépôt des sédiments dans le paysage. Son influence est principalement liée à l’énergie de l’écoulement de l’eau (vitesse, turbulence) et à l’énergie du relief :


Figure 5.5: Ravine d’érosion liée à la lave torrentielle de 2005 dans le vallon d’Armancette. Lors d’un orage, l’apport considérable d’eau a mobilisé les sédiments, générant un fluide visqueux hyperconcentré et causant de lourds dégâts à l’aval (© NRG).

  • érosion : plus l’eau a de la vitesse (pluie, rivière) et de la turbulence (rivière), plus elle peut arracher la roche et peu à peu inciser le relief (on parle d’érosion régressive de l’eau). De plus, le pouvoir érosif d’un cours d’eau augmente avec la quantité de sédiments transportés. En effet, la présence de particules solides accroit le processus d’abrasion de la roche. Dans ce prolongement, l’eau de fonte glaciaire - aussi appelée lait glaciaire car elle transporte une importante quantité d’éléments solides qui lui confère une couleur laiteuse - a une grande capacité érosive. De nombreuses formes d’érosions sous-glaciaires en témoignent, comme par exemple les gorges et les marmites du secteur du pont de la Téna (pont Romain). De même, lorsqu’un orage éclate en montagne et déclenche une lave torrentielle, ce mélange visqueux de sédiments et d’eau érode fortement le versant (figure 5.5). L’incision de plusieurs mètres d’épaisseur de moraines dans la combe d’Armancette, témoigne encore de la lave torrentielle de 2005. Finalement, un cas particulier de l’érosion par l’eau concerne les calcaires et les dolomies, présentent dans le secteur de la Pennaz - Roches Franches, du Plan de la Fenêtre et entre le col du Bonhomme et le col Jovet (figure 5.6). En effet, la dissolution (solide mis en solution dans un liquide) provenant de la réaction entre la calcite (ou la dolomie) et l’eau acidifiée par le gaz carbonique (pluie) génère l’érosion de ces roches. Au contact de l’eau, ces roches sont dissoutes ce qui peut générer des dolines (dépressions) et des lapiés (ciselures superficielles de la roche). La dissolution de ces roches crée bien souvent un réseau souterrain de galeries (comme dans un emmental) où l’eau s’insère peu à peu, faisant le bonheur des spéléologues.

Figure 5.6: En haut, les effets de la dissolution des calcaires du col du Bonhomme : le ruissellement de l’eau génère des cannelures et des rigoles superficielles appelées lapiés. En bas, il s’agit des effets de la dissolution en profondeur des dolomies des environs des lacs Jovet : elle peut induire des écroulements instantanés de la surface comme ce fut le cas au début de l’été 2013. Geoffrey, ferait mieux de rester sur les sentiers car d’autres écroulements sont possibles (© NRG).

  • transfert : la taille des particules pouvant être transportées par un cours d’eau augmente avec la vitesse de celui-ci.
  • dépôt : lorsque la vitesse d’écoulement de l’eau diminue, les sédiments sont déposés au fond, le cours d’eau n’ayant plus la capacité de les transférer. Cette variation de vitesse peut être liée à un changement de débit (retour à la normale après un orage par exemple) et un adoucissement de la pente. Ainsi, lorsque les torrents s’écoulent sur les versants raides et atteignent le fond de la vallée, la perte d’énergie induit un dépôt des sédiments au pied des versants (figure 5.1 et 5.7). L’accumulation successive de ces sédiments peut générer des formes circulaires appelées cônes de déjection. On retrouve ainsi de nombreux cônes aux pieds des versants, telles celui de Nant Borrant ou encore ceux de la rive gauche du vallon de la Rollaz. Ces cônes peuvent aussi se former devant un glacier, lorsque les eaux de fontes, fortement chargées en sédiments, les déposent dans les secteurs plats devant le glacier. Ainsi, le cône du Cugnon, le cône de la Balme et le cône de Plan Jovet sont liés aux dépôts fluvioglaciaires. Les sédiments peuvent également se déposer quand une rivière arrive dans un plan d’eau (lac). Les sédiments s’accumulent successivement en avançant dans le lac sous la forme d’un delta, comme c’est actuellement le cas au lac Jovet supérieur. Ce processus peut mener à terme, au remplissage complet du lac. Ainsi, les zones marécageuses au Nord de Plan Jovet sont par exemple d’anciens lacs d’ombilics (liés au surcreusement glaciaire) comblés par des sédiments (figure 5.1).

Figure 5.7: Le système torrentiel de Nant Borrant. En raison de la pente, des variations des précipitations (sécheresses/orages) et de l’érosion par les cours d’eau, les torrents alpins sont bien souvent composés de 3 parties distinctes : le bassin de réception en amont où les différentes cours d’eau érodent la roche, le chenal d’écoulement au centre où les cours d’eau se rejoignent et le cône de déjection à l’aval où les sédiments sont déposé en raison de l’adoucissement de la pente (© NRG).


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